VULGAIRE
(vul-ghê-r') adj.1° Qui se voit communément parmi les hommes. Opinion vulgaire. Préjugés vulgaires.
À tous événements le sage est préparé ; Guéri par la raison des faiblesses vulgaires, Il se met au-dessus de ces sortes d'affaires [MOL., Fem. sav. v, 1]
Cette interprétation est vulgaire, dira M. de B., j'en conviens ; mais elle a du moins un avantage, c'est qu'on peut la comprendre [CONDIL., Traité anim. 4]
Ère vulgaire, voy. ÈRE. Plantes vulgaires, celles qu'on rencontre à chaque pas. Médicament vulgaire, celui qu'on emploie fréquemment.
2° Langues vulgaires, se dit des langues vivantes par opposition à langues savantes ou langues mortes. Les traductions de la Bible en langues vulgaires.
Cette oreille-ci est destinée pour les langues scientifiques ; et l'autre, pour la vulgaire et la maternelle [MOL., Mar. forcé, 6]
Ce fut dans des temps si malheureux que la langue hébraïque cessa d'être vulgaire [BOSSUET, Hist. I, 8]
On dit de même : l'idiome vulgaire.
3° Qui ne s'élève, ne se distingue par rien.
C'est aux gens mal tournés, aux mérites vulgaires, à brûler constamment pour des beautés sévères [MOL., Mis. III, 1]
Mais, pour te bien louer, une raison sévère Me dit qu'il faut sortir de la route vulgaire [BOILEAU, Épît. I]
Le sujet ne veut pas de vulgaires efforts [ID., Art p. IV]
Et sans vous rapporter des exemples vulgaires, Soliman.... [RAC., Bajaz. II, 1]
Je ne vous tiendrai point de ces discours vulgaires Que dicte la mollesse aux amants ordinaires [VOLT., Œdipe, II, 3]
4° Qui appartient aux classes que rien ne distingue, en parlant des personnes.
C'est aux hommes vulgaires un trop grand effort que celui de... [BOSSUET, le Tellier.]
5° Trivial, bas. Pensées, sentiments vulgaires.
Et de vous marier vous osez faire fête ? Ce vulgaire dessein vous peut monter en tête ? [MOL., Fem. sav. I, 1]
Le dégoût qu'on ne peut s'empêcher de sentir pour ce qui est vulgaire en tout genre [STAËL, Corinne, III, 3]
6° Sans distinction, en parlant des personnes. Esprit, poëte vulgaire.
Mon Dieu ! que vous êtes vulgaire ! [MOL., Préc. 5]
On s'ennuie aux exploits d'un conquérant vulgaire [BOILEAU, Art p. III]
Le peuple napolitain, à quelques égards, n'est point du tout civilisé ; mais il n'est point vulgaire à la manière des autres peuples [STAËL, Corinne, XI, 2]
7° S. m. Le commun des hommes.
Que j'ai toujours haï les pensers du vulgaire ! Qu'il me semble profane, injuste, téméraire ! [LA FONT., Fabl. VIII, 26]
Sitôt que d'Apollon un génie inspiré Trouve loin du vulgaire un chemin ignoré, En cent lieux contre lui les cabales s'amassent [BOILEAU, Épître VII]
Je sais rendre aux sultans de fidèles services, Mais je laisse au vulgaire adorer leurs caprices [RAC., Baj. I, 1]
On le plaint [Morangiès] autant qu'on s'était déchaîné contre lui ; toutes les opinions ont changé ; tel est le petit et le grand vulgaire ; tels sont les hommes [VOLT., Pol. et lég. Précis du procès Morangiès.]
Quelqu'un a remarqué avec raison qu'au lieu du mot de public, tant prodigué à tort et à travers dans les conversations et dans les écrits, on ferait souvent très bien d'employer celui de vulgaire que la langue française nous fournit si heureusement pour exprimer cette multitude qui a tant de langues et si peu de têtes, tant d'oreilles et si peu d'yeux [D'ALEMB., Élog. Boiss. note 3]
8° Il se dit de ceux qui dans une classe ne se distinguent pas. Le vulgaire des auteurs.
Autant il faut connaître les grandes actions des souverains qui ont rendu leurs peuples meilleurs et plus heureux, autant on peut ignorer le vulgaire des rois qui ne pourrait que charger la mémoire [VOLT., Mœurs, Avant-propos.]
Il y a le vulgaire des grands et le vulgaire du peuple [ID., Philos. Philosophe ign. 33]
Un grand exemple était dû à ce vulgaire des classes aisées qui prend l'affreux pour le sublime, et dont le faible esprit avait été comme subjugué par.... [CARREL, Œuv. t. IV, p. 419]
9° Ce qui est sans distinction. Donner dans le vulgaire.
10° Le vulgaire, nom donné aux langues romanes (langue d'oïl, langue d'oc, italien et espagnol), par opposition au latin qui était la langue savante.
HISTORIQUE
- XVIe s.
L'italien, dont la faconde Passe les vulgaires [les langues vulgaires] du monde [MAROT, III, 58]
Lors Tigranes... dit une parole qui est assez vulgaire [connue, célèbre]... [AMYOT, Lucull. 50]
Je n'estime pourtant nostre vulgaire [langue vulgaire] tel qu'il est maintenant, estre si vil et abject, comme font ces ambitieux admirateurs des langues grecque et latine [DU BELLAY, I, 6, verso.]
Il faut se descharger des humeurs vulgaires et nuisibles [MONT., I, 80]
Aulcuns siecles passez, ausquels il estoit vulgaire... de veoir un homme moderé en ses vengeances... [ID., III, 51]
Les enfants, le vulgaire, les femmes et les malades sont plus subjects à estre menez par les aureilles [par ce qu'on leur dit] [ID., I, 200]
Les crimes plus obscurs n'ont pourtant peu se faire, Qu'ils n'esclattent en l'air aux bouches du vulgaire [D'AUB., Tragiques, édit. LALANNE, p. 109]
ÉTYMOLOGIE
- Provenç. volgar, vulgar ; espagn. vulgar ; ital. volgare ; du latin, vulgaris, qui vient de vulgus, foule populaire ; comp. sanscr. varga, troupe, multitude. L'ancienne langue disait vulgal, et, à l'adverbe, vulgaument.
SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE
VULGAIRE. Ajoutez : 11° Terme de droit romain. Substitution vulgaire, substitution d'un héritier, faite par le testateur, à l'héritier institué, au cas qu'il ne se présente pas pour recueillir l'hérédité ; vulgaire signifie ici ordinaire, par opposition à la substitution pupillaire, dans laquelle le testateur substitue un héritier éventuel à son héritier réel, si ce dernier meurt impubère et avant d'avoir eu la capacité de tester lui-même (la substitution vulgaire est encore, sauf le nom, usitée en droit français ; la substitution pupillaire ne l'est plus).
Qu'à cet effet, elle [la testatrice] en avait institué deux [légataires] successivement, avec substitution vulgaire, le second devant éventuellement lui succéder à la place du premier..., les conditions jointes à la substitution vulgaire doivent être comprises lato sensu [, Gaz. des Trib. 18 nov. 1874, p. 1105, 2e et 4e col.]
Émile Littré's Dictionnaire de la langue française © 1872-1877
vulgaire
VULGAIRE, adj. VULGAIREMENT, adv. [Vul-ghè-re, reman: 2e è moy. et long. 3e e muet.] Ils se disent 1°. de ce qui est comun, reçu comunément. "Notion, croyance vulgaire. — Langue vulgaire se dit par oposition à Langue savante. "Traduction de la Bible en langue vulgaire, en fançais, en italien, etc. "Le grec vulgaire; celui, qui se parle aujourd'hui dans le Levant, par oposition au grec litéral, qui n'existe plus que dans les livres. = 2°. Trivial. "Pensée, sentiment vulgaire. Voy. TRIVIAL. — Homme, esprit vulgaire, qui ne se distingue en rien du comun. = 3°. S. m. Le peuple, ou ceux, qui sont peuple. "L'opinion, les erreurs du vulgaire.
Il n'est pas de nos gens; mais il brigue l'honeur
Que le Vulgaire atache au nom de raisoneur.
Palissot.
= 4°. Quoiqu'il ait à peu prês le sens de comun, ordinaire, il ne peut pas toujours~ se mettre à la place de ces deux adjectifs On ne dit pas, par exemple, je crois, rendre vulgaire, comme on dit, rendre comun.
Mais ces monstres, hélas! ne t'épouvantent guères
La race de Laïus les a rendus vulgaires.
On dirait, dans une ocasion pareille, les a rendus comuns. = Boileau a dit des Conquérans:
Entre les grands Héros ce sont les plus vulgaires.
On lit aussi dans la Tragédie de Cromvel du P. Marion.
La mort et le tourment d'un scélérat vulgaire.
Tout cela est bon en vers et ne vaudrait rien en prôse. = Vulgaire peut quelquefois précéder.
Assez et trop long-tems de vulgaires merveilles,
Ont des peuples oisifs fatigué les oreilles.
De Lille.
VULGAIREMENT, Comunément. "Vulgairement parlant. On dit vulgairement que, etc.
Jean-François Féraud's Dictionaire critique de la langue française © 1787-1788