ÉCHAUFFER
(é-chô-fé) v. a.1° Rendre chaud. Le soleil échauffe la terre. Les oiseaux échauffent leurs petits sous leurs ailes.
2° Causer un excès de chaleur dans l'économie animale. Les liqueurs alcooliques échauffent le corps.
Absolument.
Ce n'est pas par la nature des aliments que le maigre échauffe [J. J. ROUSS., Ém. I]
Dans le langage vulgaire, se dit pour constiper. Certains aliments échauffent.
Terme de vénerie. Échauffer les faisans, leur donner une nourriture échauffante, afin d'exciter à la ponte les jeunes femelles.
3° Il se dit aussi de l'action qui cause une sorte de fermentation et d'altération dans les substances organiques.
Ils y contractaient une moisissure, une espèce de mousse qui les échauffait [RAYNAL, Hist. phil. XVI, 17]
4° Fig. Échauffer quelqu'un, lui donner une sorte de chaleur morale qui l'excite, l'enflamme, l'irrite.
S'il est prompt et bouillant, le roi ne l'est pas moins ; Et comme à l'échauffer j'appliquerai mes soins.... [CORN., Nicom. III, 2]
Laissons cette matière qui t'échauffe un peu trop [MOL., Critique, 1]
Il se dit aussi des choses.
Pour échauffer notre amour [BOSSUET, Euch. 3]
Échauffant par mes pleurs ses soins trop languissants [RAC., Baj. IV, 1]
Échauffer mes transports trop lents, trop retenus [ID., Phèd. IV, 4]
Figure-toi Pyrrhus, les yeux étincelants, Et de sang tout couvert échauffant le carnage [ID., Andr. III, 8]
Absolument.
Les conseils de la vieillesse éclairent sans échauffer, comme le soleil de l'hiver [VAUVENARGUES, Max. CLIX.]
5° Familièrement. Échauffer les oreilles, impatienter, irriter.
Retire-toi, te dis-je, et ne m'échauffe pas les oreilles [MOL., Avare, II, 3]
Qu'elle ne vienne pas m'échauffer les oreilles [ID., Fem. sav. III, 8]
Échauffer le sang, la bile, la tête à quelqu'un, l'irriter.
Mes yeux sont trop blessés ; et la cour et la ville Ne m'offrent rien qu'objets à m'échauffer la bile [MOL., Mis. I, 1]
Si vous m'échauffez la tête, je vous ferai rire d'une autre sorte [ID., l'Avare, III, 6]
Il ne fallait pas grand'chose pour leur échauffer la tête [HAMILT., Gramm. 4]
6° Terme de vénerie. Échauffer la voie, la suivre avec ardeur.
7° Terme de manufacture. Échauffer une étoffe, la rider en la foulant trop.
8° S'échauffer,
v. réfl. Devenir chaud. Les continents s'échauffent pendant l'été. Il avait la fièvre et ne put s'échauffer auprès d'un bon feu.
Pulchérie répétait des vers, en se promenant à grands pas pour s'échauffer [Mme DE GENLIS, Veillées du chât. t. I, p. 531, dans POUGENS]
9° Se donner une irritation. Ne courez pas tant, vous vous échaufferez. Il s'est échauffé en travaillant trop. On dit de même : Il est trop sédentaire ; son sang s'échauffe.
10° Fig. S'animer, s'exciter.
Puisque chacun, dit-il, s'échauffe en ce discord [CORN., Hor. III, 2]
Tu me contais alors l'histoire de mon père ; Tu sais combien mon âme, attentive à ta voix, S'échauffait au récit de ses nobles exploits [RAC., Phèd. I, 1]
Mon homme s'échauffa là - dessus d'un zèle dévot [PASC., Prov. 1]
Un homme s'échauffe lui-même par de faux raisonnements [BOSSUET, Conn. de Dieu, 1]
À mesure qu'il s'échauffait contre l'Église [ID., Var. 1]
On dira peut-être que le sujet ne valait guère la peine qu'on s'échauffât ; car de quoi s'agissait-il ? de savoir si les fleurs et les fruits suffisaient pour établir les genres.... [FONTEN., Tournefort.]
Puis, s'échauffant peu à peu, il se répandit en reproches et en injures contre les Romains en général et personnellement contre Quintius [ROLLIN, Hist. anc. Œuvres, t. VIII, p. 362, dans POUGENS]
Le peuple s'échauffera pour un acteur comme il aurait fait pour les affaires [MONTESQ., Espr. III, 2]
11° Se mettre en colère, s'emporter.
C'était se moquer que de s'échauffer ainsi pour rien [HAMILT., Gramm. 4]
S'échauffer en son harnois, parler de quelque chose avec beaucoup de véhémence et d'émotion.
12° Par extension. La dispute s'échauffe. Le jeu s'échauffe.
Les brigues s'échauffent [VAUGEL., Q. C. liv. IV, dans RICHELET]
La guerre s'échauffe tous les jours [SÉV., 148]
De parole en parole le différend s'échauffa jusqu'à tel point que la femme demanda son bien et voulut se retirer chez ses parents [LA FONT., Vie d'Ésope.]
Si, pour éprouver et châtier ses enfants, il [Dieu] permet que la persécution s'échauffe contre eux [BOSSUET, Polit. VI, II, 6]
Le premier ministre des Indes et le nôtre soutinrent dignement les droits de leurs maîtres ; la querelle s'échauffa [VOLT., Babouc.]
13° Terme de chasse. S'échauffer sur la voie, se dit des chiens qui suivent la voie avec trop d'ardeur.
14° On dit que des substances organiques, grains, farines, etc. s'échauffent, quand elles ont subi un commencement de fermentation par la chaleur succédant à l'humidité. Ce grain, cette farine risque de s'échauffer dans ce lieu.
PROVERBE
Les cabaretiers, le mauvais train échauffent les maisons, c'est-à-dire ils y logent les premiers, sitôt qu'elles sont bâties et avant qu'elles soient sèches.
HISTORIQUE
- XIIe s.
David li reis fut de grant aage, et quant l'um le cuverid, eschaulfer ne poeit [, Rois, p. 220]
- XIIIe s.
Au senateur meïsme moult souvent il jouoit, Et li uns et li autres forment s'y eschauffoit, Jeu de dez [JUBINAL, t. II, 232]
[La dame] Qui aukes [un peu] est jà eskaufée Del fu [feu] dunt Gugemer se sent [MARIE, Gugemer.]
Tant que mon cors [j'] eüsse un petit eschaufé [, Berte, XLV]
Car aussi com quant est li pors [sanglier] Eschauffés des chiens par effors, Et il à tous estal leur livre, Tant que les pluiseurs à mort livre [, Bl. et Jeh. V. 4360]
Li vif deable, li maufé, L'ont si en amer [aimer] échaufé [, la Rose, 6416]
Ele tint ung brandon flamant [flambant] En sa main destre dont la flame A eschauffée mainte dame [, ib. 3436]
Les chevaus estoient lassez et le jour estoit eschaufé [JOINV., 227]
- XIVe s.
Certains esbatemens, comme luittes ou courses, pour soy eschauffer et exerciter [ORESME, Eth. 94]
Ainsi grans menaces coroint, Mais les Bretons tout escoutoint Sans s'eschauffer ne poy ne grant [, Livre du bon Jehan, V. 3212]
De l'un costé et l'autre pensoient de frapper, Ainsi que la bataille se prist à eschauffer [, Guesclin. V. 19153]
Toute personne qui s'eschauffe en sa parole n'est mie bien attrempée en son sens [, Ménagier, I, 8]
- XVe s.
Madame sa mere, qui fut toute ensoignée de le rapaiser, tant estoit eschauffé et aïré [FROISS., I, I, 100]
- XVIe s.
Hanibal avoit faict espandre du feu par tout son ost pour eschauffer ses soldats [MONT., I, 261]
M. L'admiral, qui n'estoit pas novice ès affaires d'estat, prevoyant que le jeu s'alloit eschauffer [LANOUE, 546]
Elle pendit sur le feu un grand vaisseau plein de vin, et pendant qu'il eschauffoit.... [YVER, p. 567]
Toute rigueur s'amollit par priere ; Tout gentil cœur s'eschauffe d'amitié [RONS., 756]
Essayant par des manieres insinuantes de l'eschaufer en sa faveur [, Mém. sur du Guescl. 16]
Benoist monsieur, dit Panurge, vous vous eschauffez dans vostre harnois, à ce que je voy et cognoy [RAB., Pant. IV, 7]
ÉTYMOLOGIE
- É- pour es- préfixe, et chauffer ; picard, écaufer ; provenç. escalfar.
Émile Littré's Dictionnaire de la langue française © 1872-1877