INONDER
(i-non-dé) v. a.1° Couvrir d'eau.
On dirait que le ciel, qui se fond tout en eau, Veuille inonder ces lieux d'un déluge nouveau [BOILEAU, Sat. VI]
Pratiquer une inondation. On ouvrit les écluses, et on inonda la prairie.
2° Par exagération. Mouiller beaucoup. J'ai reçu l'averse ; j'ai été inondé. La sueur l'inondait.
Ah ! le voici ; les pleurs inondent son visage [VOLT., Alz. V, 4]
Ses pleurs l'inondaient, et sa voix ne laissait échapper que des mots entrecoupés [CHATEAUBR., Atala, Le drame.]
3° Inonder de sang, faire périr beaucoup de personnes.
Thèbes, avec raison, craint le règne d'un prince Qui de fleuves de sang inonde sa province [RAC., Théb. IV, 3]
Il ne reste que moi de ce sang glorieux Dont ton père et ton bras ont inondé ces lieux [VOLT., Zaïre, V, 10]
Le sang inonda Rome lors des proscriptions, beaucoup de personnes y furent mises à mort.
4° Fig. Il se dit des multitudes qui se répandent.
Du temple, orné partout de festons magnifiques Le peuple saint en foule inondait les portiques [RAC., Ath. I, 1]
Ils savent que, sur eux prêt à se déborder, Ce torrent, s'il m'entraîne, ira tout inonder [ID., Mithr. III, 1]
La désolation de la Perse redoublait de tous côtés ; les Turcs l'inondaient du côté de la Géorgie, l'ancienne Colchide [VOLT., Mœurs, 193]
Les Autrichiens disent qu'ils inonderont la France avec cent mille hommes l'année qui vient ; je n'en crois rien du tout [ID., Lett. d'Argental, nov. 1742]
Je découvrais la multitude qui inondait la place, et j'étais à portée d'entendre la lecture de la bulle In coena Domini [DUCLOS, Voy. Ital. Œuv. t. VII, p. 157, dans POUGENS]
Tel était à peu près l'état des choses en Égypte, lorsque cette contrée fut inondée de Grecs et de barbares qui y entrèrent à la suite d'Alexandre [DIDEROT, Opin. des anc. phil. (Égyptiens)]
Il se dit dans le même sens de ceux qui répandent les multitudes.
Xercès avait inondé le pays d'un si grand nombre d'hommes et d'animaux qu'ils avaient tari les fontaines [VAUGEL., Q. C. III, 10]
5° Par une autre métaphore, il se dit de toute chose qui, affluant, couvre et envahit.
L'idolâtrie qui inondait tout le genre humain [BOSSUET, Hist. II, 3]
Un torrent de fausses opinions inonda toute l'Angleterre [FLÉCH., Commendon, I, 10]
Tout cela s'engloutit dans le torrent des sottises dont on est inondé [VOLT., Lett. Mme du Deffant, 4 juill. 1772]
Ah ! mon révérend père, apprenez-nous comment le mal inonde toute la terre [ID., Hist. d'un bon bramin.]
J'ai été inondé de lettres de Paris [ID., Lett. d'Alembert, 10 août 1776]
C'est à vous à m'inonder de nouvelles [ID., Lett. en vers et en prose, 43]
Conçois-tu quelle ivresse inondera mes sens ? [C. DELAV., Paria, V, 3]
Quand l'astre à son midi, suspendant sa carrière, M'inonde de chaleur, de vie et de lumière [LAMART., Médit. I, 16]
D'où me vient, ô mon Dieu, cette paix qui m'inonde ? [ID., Harm. I, 5]
Tristesse qui m'inonde, Coule donc de mes yeux ; Coule comme cette onde Où la terre féconde Voit un présent des cieux ! [ID., ib. IV, 5]
Il se dit semblablement de ceux qui procurent cet afflux.
Je ne m'étonne pas si ces hérétiques triomphent, ni s'ils inondent de leurs écrits artificieux toute la face de la terre [BOSSUET, 1er avert § 47]
Il va nous inonder des torrents de sa plume [BOILEAU, Lutr. IV]
6° V. n. Affluer comme une eau (emploi qui vieillit).
C'est son sang innocent [de Jésus] qui fait inonder sur nous les trésors des grâces célestes [BOSSUET, 2e serm. Compassion de la Ste Vierge, 1]
Voyant du haut de sa croix combien l'âme de sa mère était attendrie, et que son cœur ébranlé faisait inonder par ses yeux un torrent de larmes amères [ID., ib. 2]
Cette bouche divine [de Jésus] de laquelle inondaient des fleuves de vie éternelle [ID., 1er sermon, Pâques, I]
Inonder est présentement toujours actif, et c'est mal parler que de dire : le Pô qui avait inondé sur les terres voisines, Acad. Observat. sur Vaugelas, p. 564, dans POUGENS.
7° S'inonder,
v. réfl. Se faire à soi-même une inondation. Les Hollandais aimèrent mieux s'inonder de leurs propres mains que de se soumettre à Louis XIV.
Fig.Et chacun tour à tour s'inondant de ce jus [le vin], Célébrer, en buvant, Gilotin et Bacchus [BOILEAU, Lutr. III]
Être inondé. Les plaines de la Hollande s'inondèrent facilement.
HISTORIQUE
- XIIe s.
Il [Dieu] ferit la pierre, e decururent ewes, e li doit [les fontaines] enunderent [, Liber psalm. p. 106]
E mes rujemenz [rugissement] est alsi com aiwes [eaux] enundanz [, Job. p. 470]
- XIIIe s.
Lors croist li flum dou Nile et inonde la terre d'Égypte [BRUN. LATINI, Trésor, p. 153]
ÉTYMOLOGIE
- Génev. énondé, inondé ; du lat. inundare ; de in, en, et unda, onde.
Émile Littré's Dictionnaire de la langue française © 1872-1877