PRODIGE
(pro-di-j') s. m.1° Ce qui frappe comme quelque chose de merveilleux, d'étonnant. Quelle chimère est-ce donc que l'homme ? quelle nouveauté.
quel monstre, quel chaos, quel sujet de contradiction, quel prodige ! [PASC., Pens. VIII, I, éd. HAVET.]
Les Romains firent des prodiges pour leur liberté [BOSSUET, Hist. I, 8]
L'égarement du ministre va jusqu'au prodige [ID., Lett. 158]
Le maître du château, ayant vu d'une fenêtre les prodiges de valeur que faisait Zadig [VOLTAIRE, Zadig, 16]
Qui faisait à dix ans des prodiges sur le clavecin [J. J. ROUSS., Ém. II]
Je suis las de raconter des prodiges : les polypes à bras en ont un autre à nous offrir... [BONNET, Cons. corps organ. Œuv. t. V, p. 355, dans POUGENS.]
2° Particulièrement, synonyme de miracle, de ce qui arrive contre le cours régulier des choses.
Je ferai paraître en haut des prodiges dans le ciel, et en bas des signes extraordinaires sur la terre [SACI, Bible, Act. des apôt. II, 19]
Dieu faisait des prodiges inouïs [BOSSUET, Hist. I, 8]
Faut-il, Abner, faut-il vous rappeler le cours Des prodiges fameux accomplis de nos jours ? [RAC., Ath. I, 1]
Un homme du peuple, à force d'assurer qu'il a vu un prodige, se persuade faussement qu'il a vu un prodige [LA BRUYÈRE, XIV]
À mesure que l'on est plus ignorant, et que l'on a moins d'expérience, on voit plus de prodiges ; les premiers hommes en virent beaucoup [FONT., Orig. fabl. t. III, p. 271, dans POUGENS]
Quand Dieu a permis aux démons de faire des prodiges, il les a en même temps confondus par des prodiges plus grands [ID., Oracles, I, 5]
Il n'y eut plus de prodiges dès que la nature fut mieux connue ; on l'étudia dans ses productions [VOLT., Louis XIV, 31]
3° Par exagération, personne qui excelle.
Cet amant fortuné, ce prodige en bonheur [TRISTAN, Panthée, V, 1]
C'est [une dame qui avait perdu sa fille] un prodige de douleur et d'affliction, disant des choses qui font fendre le cœur [SÉV., 29 nov. 1688]
M. du Maine est un prodige d'esprit ; aucun ton et aucune finesse ne lui manque [ID., 7 août 1676]
Scipion l'Africain.... qui était un prodige de sagesse et de vertu, telle qu'on la pouvait trouver parmi des païens [ROLLIN, Hist. anc. Œuvr. t. IX, p. 350]
Véritablement, j'avais plus d'intelligence et de raisonnement qu'on n'en a ordinairement à cet âge ; cela se peut dire sans vanité, puisqu'on voit des enfants qui ont passé pour des prodiges d'esprit devenir des prodiges de sottise [STAAL, Mém. t. I, p. 7]
Après bien des soins perdus à gâter dans les enfants les vrais dons de la nature... tous ces petits prodiges deviennent des esprits sans force et des hommes sans mérite, uniquement remarquables par leur faiblesse et par leur inutilité [J. J. ROUSSEAU, Hél. V, 3]
Despréaux fut dans ses premières années le contraire de ces petits prodiges de l'enfance, qui souvent dans l'âge mûr sont à peine des hommes ordinaires [D'ALEMB., Éloges, Despr.]
Ces prodiges prématurés d'esprit, qui deviennent, après quelques années, des prodiges de bêtise [CONDIL., Traité anim. II, 9]
Le prodige de quelqu'un, personne que quelqu'un regarde comme un prodige.
Il [Corbinelli] vous adore de vouloir apprendre ; vous êtes toujours son prodige [SÉV., à Mme de Grignan, 24 nov. 1679]
Il se dit quelquefois en mauvaise part. Néron fut un prodige de cruauté. Il se dit aussi des choses. Cette machine est un prodige de l'art.
HISTORIQUE
- XIVe s.
Prodiges estoient appellées aucunes merveilleuses aventures qui avenoient contre le cours de nature pour signifier aucune grande besongne qui estoit à avenir [BERCHEURE, f° 3]
- XVIe s.
Monstres sont choses qui apparoissent outre le cours de nature. - Prodiges, ce sont choses qui viennent du tout contre nature [PARÉ, XIX, Préf.]
ÉTYMOLOGIE
- Lat. prodigium, mot à mot chose mise en avant, de prodigere, mettre en avant, de prod pour pro (par euphonie), et agere, pousser (voy. AGIR).
Émile Littré's Dictionnaire de la langue française © 1872-1877
prodige
PRODIGE, s. m. PRODIGIEUX, EûSE, adj. PRODIGIEûSEMENT, adv. [3e e muet au 1er, lon. aux 3 aûtres; 4e e muet: gieû, gieû-ze, zeman.] Prodige, est 1°. un éfet surprenant, qui arrive contre le cours de la nature. "Cela tient du prodige. "Des prodiges étonans. Prodige, Miracle, Merveille (synonymes.) Le 1er est un phénomène éclatant, qui sort du cours ordinaire des chôses; le 2d, un étrange évènement, qui arrive contre l'ordre naturel des chôses; le 3e, une oeuvre admirable, qui éface tout un genre de chôses. — Que, sans cause conûe, le Soleil perde tout-à coup sa lumière, c'est un prodige. Que, sans moyen naturel, le muet parle au sourd, étonné de l'entendre, c'est un double miracle. Que, par un savant artifice, l'homme s'élève dans les airs, c'est une merveille, etc. Extr. des Syn. Fr. de M. l'Abé Roubaud. = 2°. Il se dit, par exagération, des persones et des chôses qui excellent en leur genre. "Cet homme est un prodige; et avec la prép. de: un prodige de science, d'esprit, de mémoire, de valeur: "Cette statue est un prodige de l'art. = Excês dans le mal: "Prodige de cruauté.
PRODIGIEUX, qui tient du prodige, en bien ou en mal. (n°. 2°.) Il ne se dit que des chôses: mémoire, grandeur, dépense prodigieûse. "Excês prodigieux de débaûche.
PRODIGIEûSEMENT, d'une manière prodigieûse. "Il est prodigieûsement riche.
REM. Prodige se disait aûtrefois comme le portentum des Latins, en mauvaise, comme en bone part. "Ce prodige de doctrine, l'ubiquité, dit Bossuet: "Manès... tâcha d' introduire ce prodige dans la Religion Chrétienne. Il veut parler des deux principes. Il dit âilleurs, monstre de doctrine, et c'est comme il faut dire. Il dit aussi, prodigieux, pour monstrueux: cette prodigieûse doctrine. — Prodige et prodigieux, pour être pris en mauvaise part, doivent être acompagnés de noms qui en déterminent le sens: prodige d'impiété; excês prodigieux de libertinage. Mais prodige tout seul, ou prodige de doctrine, de science, et doctrine prodigieûse, ne peuvent se prendre qu'en bone part.
Faire à quelqu'un des prodiges; le combler de civilités, est une expression de Mde. de Coulanges. "On présenta hier la nouvelle mariée au Roi et à toute la Cour. Mde. de Maintenon lui fit des prodiges. — Ce sont-là de ces locutions éphémères, qui règnent quelque tems dans les sociétés, et qui s'évanouissent ensuite.
M. l'Abé de Fontenai done à prodigieûsement le sens et le régime d'infiniment, extrêmement. "Il y a prodigieûsement de siècles que cet état du ciel a été dressé. — Ce régime est un néologisme: on ne l'emploierait pas même avec les deux adverbes cités ci-dessus. On dit: il a infiniment, extrêmement d'esprit, plutôt que de l'esprit: mais on ne dirait pas: il y a infiniment ou extrêmement de siècles que, etc.
Jean-François Féraud's Dictionaire critique de la langue française © 1787-1788