ENVISAGER
(an-vi-za-jé. Le g prend un e devant a ou o : j'envisageais, nous envisageons) v. a.1° Regarder une personne au visage.
Phorbas, envisagez ce prince en ma présence [CORN., Œdipe, IV, 3]
Plus je vous envisage, Et moins je me remets, monsieur, votre visage [RAC., Plaid. II, 4]
Soit que je vous regarde ou que je l'envisage, Partout du désespoir je rencontre l'image [ID., Bérén. v, 7]
Et je n'ouvris les yeux que pour envisager Les miens que sur le marbre on venait d'égorger [VOLT., Henr. II]
L'aspect d'un Capulet n'a donc rien qui t'irrite ! Comme un autre homme enfin tu peux l'envisager [DUCIS, Roméo, IV, 5]
Par extension.L'œil n'ose envisager ces antres écumants [DELILLE, Énéide, VI, 753]
2° Tourner le regard vers.
C'est aussi l'artifice De ceux qui, pour couvrir quelque puissant effort, Envisagent un point directement contraire, Et font vers ce lieu-là courir leur adversaire [LA FONT., Fabl. XII, 10]
Fig. Tourner le regard vers, se régler sur.
C'est lui seul [l'empereur] que la cour envisage [RAC., Brit. IV, 1]
3° Regarder face à face en esprit.
La mort qu'elle envisage avec beaucoup de fermeté [SÉV., 130]
Lorsque j'envisageai le moment redoutable Où pressé par les lois d'un austère devoir.... [RAC., Bérén. v, 6]
J'envisage dans l'avenir des peines dont je ne puis supporter l'idée [Mme DE GENLIS, Ad. et Théod. t. III, lett. 25, p. 188, dans POUGENS.]
Votre devoir est grand, osez l'envisager [DUCIS, Macb. v, 2]
Je sais, sire, qu'un héros tel que vous envisage ce dernier moment [la mort] avec tranquillité [D'ALEMBERT, Lett. au roi de Pr. 29 janv. 1768]
Laissons, mon fils, laissons les vulgaires douleurs Craindre d'envisager l'objet de leurs malheurs [M. J. CHÉN., Gracques, I, 5]
Je n'ose envisager un présage si triste [LEMERC., Agam. IV, 7]
Envisager de, avec l'infinitif.
Puisque j'envisage bien de partir dans l'état où est ma pauvre tante, il faut croire que rien ne peut m'en empêcher [SÉV., 144]
Il ne peut envisager de rentrer dans le service [ID., 503]
4° Considérer.
Le sage quelquefois fait bien d'exécuter Avant que de donner le temps à la sagesse D'envisager le fait et sans la consulter [LA FONT., Fabl. X, 14]
Ceux qui, d'un œil cruel envisageant ma vie, Voyaient d'un œil jaloux mon pouvoir souverain [ID., Poésies mêlées, LXXIV]
Il faut observer par quel côté il envisage la chose [PASC., Pensées div. 110]
Seigneur, je cherche et j'envisage Des monarques persans la conduite et l'usage [RAC., Esth. II, 5]
N'envisageant les systèmes que comme des moyens de rendre l'étude de la botanique moins pénible [CONDORCET, Haller.]
Avoir en vue.
C'était l'objet le plus ordinaire de la guerre, et le principal fruit qu'on envisageait dans la victoire [VERTOT, Révol. rom. III, 226]
N'envisager sa fortune qu'à travers son devoir [MASS., Or. fun. Villars.]
Nous envisagions le plaisir de le ruiner ; mais la justice est jalouse de ce plaisir-là [LESAGE, Turcaret, v, 16]
Qu'elle envisage moins ma perte que ma gloire [VOLT., Triumv. IV, 3]
Compter sur.
Une grâce précieuse que je n'ose envisager de si loin [SÉV., 555]
Se faire une idée de.
Un moment de réflexion lui fit envisager la désagréable aventure que ce serait [HAMILT., Gramm. 5]
Regarder comme.
Que d'hommes amoureux de la gloire céleste Envisagent la croix comme un fardeau funeste ! [CORN., Imit. II, 11]
5° S'envisager,
v. réfl. Se regarder soi-même.
Fig.Chacun s'envisage toujours par certains côtés favorables [MASS., Car. Parole.]
Se regarder mutuellement. Ils s'envisageaient l'un l'autre avec attention.
L'un et l'autre rival, s'arrêtant au passage, Se mesure des yeux, s'observe, s'envisage [BOILEAU, Lutrin, v.]
Être considéré. Cet événement peut s'envisager de plusieurs manières.
ÉTYMOLOGIE
- En 1, et visage. Ce mot paraît avoir été formé dans le XVIIe siècle, du moins nos exemples ne remontent pas plus loin.
Émile Littré's Dictionnaire de la langue française © 1872-1877